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Bernard Moninot : POETIQUE DE LA MACHINE A REVER

NOWHERE NOW HERE

B Moninot 1
B Moninot 1
La galerie Baudoin Lebon a exposé du 15 janvier au 28 février 2009 plusieurs ensembles d’œuvres inédites de Bernard Moninot réalisées entre 2005 et 2008. L’installation « Le Fil d’Alerte », présentée pour la première fois à Paris dans une très belle cave voûtée, est prolongée jusqu’au 18 avril. Parallèlement la galerie Catherine Putman présente un ensemble de dessins jusqu’au 21 mars : « Ombres croisées ». Ces deux expositions, écho de bruissement, se répondent et révèlent l’expression de cet artiste hors du commun.

Voir en ligne : www.bernardmoninot.com

« Le vent dessine son passage

graphes et glyphes ciselés

fibrilles fils fissures

firmament effilés

sillage d’errance et de danse

traînées gracieuses hasardeuses »

Jean-Luc Nancy, Bernard Moninot, Les traces anémones, aux Editions Maeght.

Dans le cadre de l’exposition de la galerie Baudoin Lebon, deux pièces majeures dominent, « Le fil d’Alerte », 2007, et « Objet de silence », 2009, présentées dans l’Aquarium. « Le fil d’Alerte », nom donné au fil qui relie l’araignée à sa toile, donne ici son titre à ce dispositif, qui est un dessin dans l’espace constitué d’un réseau de fils et de câbles mis en tension et d’objets en verre et cordes à piano suspendus. Cette pièce a été conçue à l’origine pour la poudrière du fort de Vauban à Belle-Ile-en- Mer, une salle particulière qui met à distance les bruits du monde par l’épaisseur des murs, pour laquelle Bernard Moninot a réalisé cette œuvre sonore. Oxymore de l’implosion du silence et de la poudrière, l’artiste nous propose de faire l’expérience de la résonance au sein de l’espace même quand se produit le phénomène du « point d’ouie ». Ce point précis est situé dans les espaces circulaires dans lesquels on peut lancer un son ou un mot et l’entendre comme si on se le prononçait à soi-même. Bernard Moninot à propos de cette installation parle de partition visuelle ou de forme-bruit.

Au sens où Novalis parle de « poésie élargie », le dessin de Bernard Moninot est élargi à l’espace lui-même. Son dessein de présenter le son ou le silence se matérialise par des câbles, des fils de nylon ou de soie, et des éléments de verre qui entrent en tension et ponctuent la transparence de l’espace. Bernard Moninot dessine dans l’air d’un trait qui est une ligne tendue dans l’espace comme un câble à haute tension. Il cite Oscar Schlemmer (danseur et sculpteur) : « je voudrais faire une œuvre monumentale qui soit de l’épaisseur d’un cheveu ».

La dimension arachnéenne du « fil d’Alerte » est telle que toutes les parties de verre ou de lignes transparentes jouent le rôle de capteur, de réflecteur ou de conducteur de lumière par où transite le dessin. Les formes en verre sont toutes reconstituées et issues d’instruments mécaniques ou d’objets ayant un rapport avec le son : diapason, haut-parleur, cymbales… La pièce égraine un son, harmonie d’une ritournelle dissonante qui retient le visiteur un instant. Celui-ci écoute alors l’installation élargie au NOWHERE, ce nulle part qui devient un ici et maintenant, un NOW HERE.

« L’objet de silence », 2008, présenté dans l’Aquarium est une œuvre singulière née d’un rêve : « je visitai l’atelier d’un artiste inconnu qui arrivait à rendre sensible et perceptible le silence. Il réalisait des sculptures de silence. Le domaine onirique qu’on entrevoit est inaccessible et inutilisable puisqu’il ne reste rien de précis à notre réveil. Il y avait une idée certes mais comment construire une nouvelle séquence de travail sur une impossibilité ? Déjà précédemment j’ai travaillé sur des idées impossibles, par exemple : comment mesurer le poids du regard ? J’ai recours à « l’art des solutions imaginaires » pour dépasser l’impossible. Pour ce projet, après une année de recherche et de réalisation de dessins, j’ai trouvé la solution en septembre dernier pour l’installation de l’Aquarium. Ce qui est montré dans cette pièce close, ce sont des vases de verre, des sonogrammes, ces figures qui traduisent dans une forme à deux dimensions le bruit d’un mot prononcé. J’obtiens plusieurs silhouettes, en enregistrant plusieurs fois le son du mot silence dit avec différentes intonations, puis je les construits en volume avec de la corde à piano. Les autres matériaux utilisés sont l’acier, le verre, la lumière, des gouttes de cristal, de la cristopalythe, du carbone en feuille et de la poudre de toner. Le silence, on ne peut matérialiser le silence que par les limites de l’espace dans lequel il est contenu, et l’ombre est ici un phénomène qui est utilisé comme un écho, une forme possible du silence. »

Les « ombres croisées », 2006-2008, dessins sur soie de grand format (140 x 210 cm) représentent des instruments, des « forme-bruit » en ombre portée dessinée et en ombres réelles : « le dessin pour moi n’a pas d’ombre. Le dessin c’est une ligne, une idée proche de l’immatériel. La peinture, c’est différent. C’est une étendue qui fait obstacle au regard ou à la lumière. Et il y a une ombre réelle ou en trompe l’œil. Ce que je cherche c’est le trouble de la perception du temps à l’œuvre dans l’œuvre. (…) La soie est utilisée comme support à ces dessins qui sont sur deux plans écartés de quelques centimètres et produisent un effet de moirures, un phénomène fugace engendrant des flux optiques mouvants et variables selon notre position. »

La série des « Coupe-vents », 2006, ensemble de sept œuvres (50 x 40 cm) est une recherche que Bernard Moninot conduit dans une même période de temps que d’autres recherches, selon un système se développant en arborescence et en correspondance : « Tout cela traduit une préoccupation. Comment faire advenir l’œuvre ? Entrevoir ou écouter le dessin en projection. Comment effectuer le passage de l’idée à la formulation d’une forme ou d’une image pertinente ? Concevoir, modéliser, construire sont les minutes du travail où des éléments hétérogènes et complexes s’agrègent et entrent en tension. »

Les « Coupe-vents » sont des salles d’attente, parallélépipèdes de verre, que l’on trouve le long des gares. Bernard Moninot a travaillé dans le début des années 70 sur le thème des vitrines où il utilisait le verre. On retrouve certains principes de ces tableaux anciens dans ces espaces de refuge peints en 2006. La coloration des deux plans de soie superposés engendre ici une fusion optique des couleurs qui se mélangent à l’air, ce qui permet à l’espace interstitiel de s’augmenter d’une radiance colorée produite par la lumière filtrée par le tableau... La couleur rouge est un signal d’optique, une mise en garde d’un lieu à ne pas franchir, et qui défini en pointillé le contour de cet espace de refuge. A ce propos, l’artiste cite Gille Deleuze qui parle de l’expérience de la couleur et de son attente chez Vincent Van Gogh. Pour ce peintre, la couleur n’est pas donnée au départ. Il y accède après un long détour par le dessin et la peinture par où s’évacue la part d’ombre de l’artiste. Après cette décantation, la couleur s’impose et devient un langage autonome, territoire d’expression inouïe. Picasso disait « ce n’est pas ce que je pense qui m’intéresse c’est observer les mouvements même de ma propre pensée. » Cette pensée en mouvement se réfère aussi à une citation de Claude Bernard : « Quand on ne sait pas ce que l’on cherche, on ne comprend pas ce que l’on trouve ». « Je travaille pour découvrir quelque chose que la réalité a à me dire. Mais ce réel est le produit du travail lui-même. ATELIER est l’anagramme exacte de REALITE. J’essaie de ne pas perdre le fil reliant et associant des choses éloignées et distantes entre elles, qui fabriquent une sorte de territoire mental.

Comment faire advenir l’œuvre ? Le dessin est une projection, une idée. Les virtualités matérielles du verre, de la soie, des ombres ou des phénomènes capturés caractérisent l’incertitude qui est au centre de la recherche. « Ce qui m’intéresse, ce sont les états critiques de la matière, lorsque l’eau par exemple s’approche du solide, de la glace ou bien hésite entre la vapeur et la pluie. Je tente de mettre cette idée en action dans le dessin qui est un état critique de la pensée.

J’introduis dans mes œuvres des indices de cette idée en collant des dés « cassés », en équilibre sur une pointe… L’œuvre se présente comme une configuration d’éléments dont on ne sait si elle va être l’addition des évènements ou la soustraction.

Je dessine la pensée en transit par des choses que je rends abstraites, du fait de montrer en même temps les écarts qui les séparent. Je cherche l’idée qu’il y a dans cet entre-deux. Dans mes dessins, le son et les résonances de la mémoire sont des guides. Ainsi pour peindre un peuplier c’est par le souvenir du bruissement de chaque feuille agitée par le vent que je pourrais faire ce tableau « bruissant ».

L’Art est pour moi lié à la matérialisation d’une absence. Je cherche à figurer quelque chose qui n’est pas là, quelque chose qui manque à la réalité mais qui n’est pas complètement perdu. Le rôle de l’art est de l’inventer ».

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++INFO++

Galerie Baudouin Lebon, 38, rue Sainte Croix de la Bretonnerie, 75004 Paris tél. : 01.42.72.09.10 Installation « Le Fil d’Alerte » prolongée jusqu’au 18 avril. Galerie Putman, 40 rue Quincampoix, 1er étage, 75004 Paris tél. : 01.45.55.23.06 jusqu’au 21 mars 2009. Arts-Paris à partir du 18 mars au Grand-Palais stand galerie Eric Seydoux, ensemble de quinze sérigraphies inédites. Septembre 2009 installation de dessins de lumière « L’Eolethèque » au Mac-Val.

Ouvrage paru : « Les traces anémones », recueil de 9 Lithographies avec un poème du philosophe Jean-Luc Nancy, collection DUOS, éditions Maeght, Paris. Ouvrage à paraître : 2009/2010 publication d’une monographie sur l’ensemble de l’œuvre de Bernard Moninot par l’écrivain Jean-Christophe Bailly, aux éditions André Dimanche à Marseille.

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