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Artiste gestionnaire ou artiste entrepreneur ?Tactiques ou Nécessités ?

Table ronde du 19 octobre ShowOffParis

Dans l’euphorie gestionnaire des dernières années, toutes sortes de catégories de populations, y compris les politiques, se sont adonnées à l’ivresse de la gestion, de sa myopie court-termiste et de l’habillage marketing qu’il est de bon ton d’arborer. Vont de pair le cynisme et l’appétit de séduction, l’autre étant celui à qui on fourgue ses produits ou son programme électoral (en fait plutôt un emballage de programme). Cette matrice hypermoderne est tellement puissante qu’elle n’a pas manqué d’englober une cohorte d’artistes dont le nombre va croissant en proportion de la population active.

Voir en ligne : www.entrepart.com

Pour ces artistes qui cherchent éperdument à être un artiste, tout ce qui se permet d’apparaître comme de bons professionnels est à prendre, y compris la notion de compétence, qui a envahi l’entreprise gestionnaire de « ressources humaines » ces dernières années. A l’occasion du 10ème anniversaire de la Biennale de Paris, n’a-t-on pas assisté à des prises de positions hallucinantes d’artistes revendiquant une compétence ? Si les artistes n’ont plus que des compétences à apporter, ils deviendront vite jetables, ce qu’ils sont déjà devenus d’ailleurs, si j’en crois mes conversations avec des responsables de société de capital risque spécialisées dans l’investissement artistique. Pour sauver leur peau et préserver un peu de leur apparat, ces artistes multiplient les tactiques médiatiques et reniflent l’air du temps. Et ainsi s’épuisent vite les talents, car comme l’indiquait Alain Bashung dans un entretien pour mon livre : « Si je captais seulement l’air du temps, ce que j’écrirais serait déjà dépassé ».

A l’opposé de ces artistes centrés sur leurs besoins (de survivre, voire d’exister) se situent les artistes animés de désir. Du désir d’être artiste et non pas « un » artiste. Les artistes entrepreneurs, ceux dont nous parle Peter Sloterdijk en ces termes : « Les entrepreneurs et les artistes ne gardent et n’épargnent pas « ce qui existe », mais mettent en œuvre et en débat ce qui n’a jamais été là sous cette forme, dans un refus constant de l’existant ». « Entrepreneur » ne doit pas être confondu avec « chef d’entreprise », car en ces temps de spéculation marchande intensive, chacun a observé que parmi les chefs d’entreprise même, il est peu d’entrepreneurs et beaucoup de gestionnaires. Mais les entrepreneurs existent bel et bien, ceux-là qui s’évertuent à transformer le monde. Animés de cette nécessité intérieure, ils traversent temps et frontières, à la manière d’un Michael Heizer, artiste extrême, qui, face au cosmos, vit et partage l’expérience de la traversée du vide avec l’autre considéré comme une personne et non comme une ressource, refusant tout intermédiaire dans son œuvre et donc toute tactique. Les artistes entrepreneurs sont avant tout porteurs de questions, et derrière les questions, de processus de questionnement infinis, qui sont absolument nécessaires à leur vie comme à la société.

« L’art est une garantie de santé pour la société », me disait un jour Louise Bourgeois. Nécessité et tactique sont-elles à opposer ? Evidemment non, si la première transcende la seconde. Comment Josef Beuys eût-il porté son projet de sculpture sociale s’il n’avait pas usé de tactique ? Derrière cette tension entre tactiques et nécessités, c’est en fait la question du temps de l’œuvre qui est posée. La question de l’artiste est essentielle pour tisser le lien imaginaire entre les générations. Il n’est pas d’humanité sans art de la nécessité. En contrepoint, il n’est pas de société viable à long terme sans entrepreneurs animés d’une vision qui dépasse leurs intérêts spéculatifs. A l’heure inédite dans le cours de l’humanité où nous nous trouvons face à la question de notre propre destruction par destruction de notre environnement naturel comme de notre île anthropogène, c’est la question de la préservation d’un temps créateur qui est posée. L’artiste est-il condamné à faire carrière pour gérer un héritage ? Il se trouvera heureusement des artistes empreints d’une mission d’indéfectibles guerriers de la beauté, créateurs de formes et à ce titre gardiens d’un temps long de métamorphose, infatigables générateur de flux, d’expériences, de nouveaux possibles. Pour qualifier l’ultime nécessité de l’artiste pour nourrir l’imaginaire de notre société, nécessaire à sa viabilité économique, sociale et culturelle, je reprends volontiers à mon compte la mission que lui reconnaît David Robbins : « infecter le présent par les possibles ».

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++INFO++
Christian Mayeur est directeur d’Entrepart, entreprise artistique Auteur du livre « Le manager à l’écoute de l’artiste », Prix Advancia-CCIP du livre d’entrepreneuriat 2007.
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