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Arbres

  • lundi 29 septembre 2008
La rentrée parisienne dans les galeries du Marais et d’ailleurs réserve une singulière surprise, un nombre important d’expositions ou d’œuvres ont pour sujet ou support l’arbre, un arbre, des arbres. Une tentative d’interprétation croisée de ce micro phénomène constitue à l’évidence un moyen de se faire une idée de ce qui agite les artistes et les galeries qui les montrent en ce moment. Voici donc dans le désordre un petit voyage au pays des arbres qui ne cachent pas de forêt : Nils Udo, galerie Pierre-Alain Challier, 8, rue Debelleyme / Stephan Sehler, Galerie Baumet-Sultana, 20, rue Saint-Claude / Samuel Rousseau, Galerie Polaris, 5, rue des Arquebusiers / Bustamante et Art and langage, Galerie Thaddaeus Ropac, 7, rue Debelleyme / Keja Ho Kramer, Galerie Nuke, 11, rue Saint-Anastase, Fabrice Hyber, Galerie Jérôme de Noirmont, 28, avenue Matignon.

Grandeur et décadence… Des artistes acquièrent une réputation, parfois justifiée. Il se peut qu’elle les encombre, mais en général nul ne semble s’en plaindre. Or une réputation, cela implique qu’à certains moments, il soit nécessaire d’en répondre. Cela veut dire en fait être à la hauteur de celle-ci. Peut-être pas toujours, mais le plus souvent. Cela implique donc de ne jamais cesser de tendre à être meilleur que soi-même. Les remarques qui suivent sont donc des questions plutôt que des jugements. En effet, pour qui se souvient et comme en témoignent les catalogues accessibles dans la galerie, Nils Udo a été un bon artiste de land art. On peut même avoir été particulièrement sensible à ses nids par exemple et le fait que l’œuvre fût médiatisée par la photographie semblait aller de soi. Retrouver Nils Udo dans la galerie Pierre-Alain Challier semblait laisser présager le meilleur et c’est d’une certaine façon le pire que nous avons pu voir. On s’aperçoit qu’il est difficile de rendre compte d’une émotion négative, d’expliquer en quoi sans que cela passe pour un jugement à l’emporte pièce, on réagit ainsi. En fait, face à ces tableaux, on a l’impression de se trouver devant l’une de ces images de sous-bois qui servaient de décoration dans les halls d’hôtel ou d’immeuble dans les années soixante-dix. Et l’on se demande simplement : pourquoi tout ça ? Oui, pourquoi avoir tant travaillé avec maestria avec, sur et pour la nature, pour finir par faire de vulgaires tableaux sans aucun intérêt plastique, et dont on dirait qu’ils sont faits à partir d’images retravaillées sur ordinateur ? Cela reste une question et seul l’artiste, peut-être pourrait, y répondre ? Porte en face, à la galerie Ropac, on se trouve devant les œuvres de Bustamante. Il suffit juste ici de les évoquer et sans doute de s’abstenir de commentaire tant l’immensité de la préciosité décorative vous saute aux yeux et tant la confrontation avec ces vernis à ongles transformés en œuvre laisse démuni. Cela a un effet qu’il faut noter, faire éprouver par avance la vanité de toute tentative de discours en vue de légitimer ces œuvres. Puisqu’on se trouve au rayon des stars, il est inévitable d’évoquer en cette rentrée qui fait des galeries parisiennes une sorte de parc floral automnal, les œuvres de Fabrice Hyber à la galerie De Noirmont. Là, rien de décoratif en effet, rien de propre, bien au contraire, la nature telle qu’en elle-même. Enfin presque ! Un arbre « réel » ne fait pas la nature, et une accumulation de notes, sous forme de dessin, d’objets, de déchets, ne constitue ni une réflexion, ni une analyse, ni un tableau. Enfin, si ! Puisqu’ils sont là devant nos yeux, ces tableaux ! Non car on se trouve devant des œuvres écologiques à caractère sulpicien. En effet, l’hésitation revendiquée entre la représentation, le schéma, l’objet réel, la note de synthèse pour journaliste fatigué, et un propos de type écologique voire sociologique, comme celui que nous tiennent les arbres antennes de télévision, fait que ces œuvres incarnent en effet notre besoin supposé de retrouver le chemin de la réalité. Mais elles le font en jouant sur les ressorts les plus éculés, puisque l’on se croirait devant des tableaux qui représentent un saint tout en contenant aussi des reliques. Ces œuvres tentent de nous faire croire que la représentation ne se soutient que si elle intègre un peu de réel, et donc qu’elles ont pour vocation d’orner une sorte d’église nouveau style. De plus elles moralisent tendant à nous culpabiliser d’avoir oublié la nature au profit de… mais au profit de quoi ? Telle est la question. Non, Monsieur Hyber, les choses ne sont pas si simplistes qu’il suffit de recourir aux vieux clichés de l’art catholique pour s’assurer d’avoir un certain succès. A moins que vous n’ayez raison et qu’il en aille véritablement ainsi. Ce qui donnerait raison à ceux qui pensent qu’il faut continuer ainsi, puisque tout le monde voit une Capoue là où pourtant nos yeux ne nous montrent qu’un taudis.

Ramage et plumage Puisque nous sommes au rayon stars, il nous faut revenir à la Galerie Ropac et à une série somme toute amusante d’Art & Langage. Une exposition de dessins et parmi eux une série tout à fait inattendue, des petits tableaux composés à chaque fois d’une version de poche de l’origine du monde de Courbet associée à une photographie d’arbre. Un arbre, un seul, majestueux, grandiose, réel puisque photographié, selon la forme actuelle de nos croyances, la chose même donc, ou plutôt la représentation de la chose si l’on repense à la tripartition de One and Three Chairs de Joseph Kosuth. Alors de quoi s’agit-il ? Qu’est-ce donc sur le tableau sinon une touffe fournie ? Mais une touffe même fournie est-elle un arbre ? Une toison est-elle une ramure ? Sans doute le jeu est-il ailleurs, dans le fait de piéger le regard dans le filet des associations verbales contenues ou retenues ? La chose donc mais laquelle ? L’objet du désir ? Le désir d’objet ? L’impossible possession de la chose qui nous pousse à être possédés par la chose ? Il manque juste les mots en effet et ils tournent dans notre tête, petit moteur impuissant à nommer ce qui est vu et à voir ce qui n’est pas nommé. Ce petit voyage au cœur des problèmes éternels que la représentation nous renvoie est un écho sans fin à nos aveuglements, eux, bien réels.

Interrogations Les œuvres de Stephan Sehler, galerie Baumet-Sultana, sont plus classiques, c’est-à-dire qu’elles abordent les questions que nous nous posons à travers la représentation de manière directe, artistique en quelque sorte. L’enjeu est simple. Une technique élaborée, raffinée même, complexe, un travail de fourmi et un effet maximal, en vue de nous faire comprendre que ce que nous prenons pour une capture de la réalité, dans les photographies, n’est en fait que le résultat d’un processus complexe d’abstraction. Wilèm Flusser parlerait lui de programme, et c’est à l’évidence un programme que Stephan Sehler met en œuvre afin de nous prendre au piège de nos propres croyances en nous les faisant trouver désirables, et pourquoi pas belles. Samuel Rousseau à la galerie Polaris, outre de complexes installations à base d’images numériques, met en scène un arbre, ou plutôt une sorte de tronc d’arbre ou de branche nue et polie, morte donc, qu’il éclaire à sa manière afin de faire vivre son ombre sur un écran. Juste une vibration et une vibration juste. Quelque chose et en fait rien, une ombre et pourtant quelque chose, une caverne, la vie, notre vie, notre regard et pourtant une lumière qui rend possible l’erreur, l’illusion et le trouble. Nous savons et nous croyons et nous croyons surtout que nous savons. Mais ici pas de discours sulpicien à la Monsieur Hyber, non juste une installation efficace, pour nous rappeler que notre savoir est sujet à caution. Ainsi nous donne-t-il à voir un peu de notre non savoir. Pas si courant finalement.

Trouble A l’évidence, l’exposition la plus réussie de cette rentrée arborée est celle de Keja Ho Kramer, Galerie Nuke. L’enjeu est simple à formuler, beaucoup plus complexe à réaliser. Il s’agit simplement de produire un renversement réel du regard. De faire en sorte que nous debout, face à l’image, nous ne soyons plus nous debout face à l’image. On pourrait dire que tous les moyens sont bons, mais Keja Ho Kramer choisit les meilleurs. Point de vue en contre plongée, afin de se rapprocher de la cime des arbres, effets de transparence afin de transformer un arbre en une sorte de plume cosmique, travail sur les tirages afin de faire rendre à « la nature tout ce qu’ensemble elle avait joint », comme le disait le poète, et de faire qu’une image soit littéralement non le résultat d’une capture de la réalité mais le vecteur d’une écriture. Il faut s’arrêter là et ne pas dire d’une écriture de la nature, car ce serait à nouveau réintroduire la réalité comme indice. L’énigme est ailleurs, dans le toucher même du dehors comme regard. Il y a du mystère dans ces images en ceci qu’elles sont à la hauteur d’univers comme celui de J.-G. Ballard auquel l’artiste se réfère directement dans des entretiens, mais aussi de Tarkovsky qui est capable de faire de la chose la plus banale un élément vivant, l’incarnation d’un être qui serait réellement non humain. Les arbres de Keja Ho Kramer ne sont pas des morceaux d’une nature qui écrirait comme par magie sur la surface d’un papier photo le texte de ses errances inacceptables, ils sont les porte-parole d’un autre monde où le regard des hommes ne serait pas prisonnier de leurs fantasmes imbéciles et où le ciel serait une déclinaison du rêve et le rêve une incarnation du soleil. Et puis, ces images ont une autre vertu, celle de rendre sensible, au-delà de tout discours l’entre deux tel qu’on peut en général le dire et non le montrer. Quelque part il y a la terre, souvenir impartageable parce qu’invisible mais vivant, ailleurs il y a le ciel, mais il ne peut pas porter ce nom puisqu’il est comme renversé et semble un océan sans fond et entre les deux il y a le vivant, lignes de fuite incessantes qui tentent de faire le lien entre deux absences et qui, pour prouver qu’elles existent, écrivent et écrivent encore dans la langue d’avant la langue, la langue du vivant qui seul sait que dans l’univers, réellement il est seul.

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